Invitation Goldberg

Une conversation sur Les variations Goldberg de Nancy Huston et de Johann Sebastian Bach

Elisabeth Gavalda (voix)
Philippe Bourlois (accordéon)

Dans une adaptation et une mise en scène d’Elisabeth Gavalda
Production Théâtre de la Palabre

Le Théâtre de la Palabre est soutenu par le Conseil Général du Gard dans son fonctionnement et par la Région Languedoc-Roussillon dans ses créations.

ARIA
Basso continuo
Maintenant c’est commencé et ça ne pourra plus s’arrêter, c’est irrémédiable, un temps s’est déclenché, a été déclenché par moi et doit être soutenu par moi pendant sa durée obligée. Je suis à la merci de ce temps désormais, je n’ai plus le choix, il faut que je le parcoure jusqu’au bout. Une heure et demie et des poussières. Ça n’a rien à voir avec une heure et demie de sommeil, ou de conversation, ou de cours magistral. Je n’ai pas le droit de me retourner dans la salle, parmi lesquels se trouvent pourtant des êtres que j’ai aimés et que j’aime; je ne dois penser qu’à mes doigts, et même à eux je ne dois pas vraiment penser. Sinon je sais qu’ils deviendront des bouts de chair, des boudins blancs, petits porcs frétillants, et je risquerai de m’interrompre horrifiée de les voir se rouler ainsi sur les morceaux d’ivoire. J’ai enlevé ma montre, elle me gêne pour jouer. Mes mains doivent être tout entières au service de ce rituel : pendant ce temps, la contrainte de performance doit être totale […] je suis l’interprète et surtout pas le créateur. […] le pire c’est de n’avoir, tout le temps que dure l’épreuve, aucun accès à la musique elle-même. Je suis là pour en faire, les autres pour en entendre, mais la musique se déploie dans un entre-deux qui ne touche ni moi ni eux. […] j’exécute. La musique doit être exécutée, c’est à dire : mise à mort. Je suis le bourreau de l’immortel.
Les Variations Goldberg de Nancy Huston, Babel, pp. 13-14

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